dimanche 7 décembre 2008

Filmer 14-18: "Joyeux Noël" et "Le voyage de la Veuve"

Extrait de la bande-dessinée de Jacques Tardi intitulée "C'était la guerre des tranchées" publiée en 1993 (source: fnac.com). Cet auteur prenait déjà le parti de montrer l'absurdité de la guerre et les souffrances des soldats.


Deux films qui évoquent la Grande Guerre, un mois après le 90ème anniversaire du 11 novembre, à voir cette semaine. Filmer la première guerre mondiale, sous quelque forme que soit (documentaires, fictions, docu-fictions), est autant un acte d'écriture de l'histoire que de construction de la mémoire. Les partis pris des réalisateurs s'inscrivent alors dans le débat historiographique (la science qui fait l'histoire de l'histoire et analyse les différents courants historiques) et provoquent des polémiques plus ou moins vives. L'histoire de la Première Guerre mondiale est fortement marquée par la "querelle" qui opposent deux courants d'historiens sur la question de la façon dont les soldats se sont engagés dans la guerre, consentants ou contraints (ce dont nous avons parlé en classe pour essayé de savoir si les mobilisés étaient partis la "fleur au fusil"). Il y a donc d'un côté l'Historial de la Grande Guerre de Péronne et l'équipe d'Annette Becker et de Stéphane Audouin-Rouzeau, l'école dite du consentement, de l'autre le CRID 14-18 (Collectif de recherche international et de débat sur la guerre de 1914-1918), appelée école de la contrainte, emmenée notamment par Nicolas Offenstadt. Le débat accorde un rôle important à la façon dont ces questions d'ahésion ou de refus de la guerre, par les soldats mais aussi par l'arrière, sont traités dans les médias: c'est un peu "Le Bruit et la Fureur" (documentaire de 2008 diffusé sur France 2 le 11 novembre dernier, et qui insiste sur la déshumanisation de soldats qui auraient supporté et contribué à l'horreur au nom de la haine et du patriotisme, voir ici) contre "Joyeux Noël" (film de 2005 diffusé ce soir sur TF1, qui prend le parti d'une guerre imposée par les reponsables de l'armée aux soldats qui n'en voulaient pas et qui cherchaient à éviter la guerre par diverses stratégies, voir ici). Pour faire le point sur ces questions intéressantes je vous propose la lecture de deux articles:
Les deux films proposés cette semaine reflètent ce débat: si le premier montre clairement le parti-pris de soldats contraints d'obéir aux ordres de leurs supérieurs et à la pression de l'opiinion publique, le second, soucieux de démontrer l'absurdité de la guerre ne veut pas occulter, selon le réalisateur, la brutalisation et la haine qui motivait les troupes: "Il faut en finir avec la vision parfois béate d’une fraternisation entre Français et Allemands. Il y avait de la haine, du racisme, de la xénophobie. Des deux côtés. Il faut oser parler de cette violence, dont l’on ressent les terribles répercussions dans la scène du mariage par exemple (où chacun y va de son commentaire sur "l’odeur des Boches"). La guerre conduit à une certaine forme de folie…".

"Joyeux Noël" de Christian Carion (2005), dimanche 7 décembre 2008, TF1, 20h50.

Affiche du film (source: amazon.fr)

Le synopsis: "24 décembre 1914 : une veillée de Noël, sur le front, dans le Nord de la France, où se font face les tranchées écossaises et françaises d’un côté, et allemandes de l’autre. Et puis un air de cornemuse ou la voix d’un ténor allemand qui s’élèvent, et le miracle se produit : on fraternise ! Les adversaires redeviennent des hommes que tout rapproche, les souvenirs, les familles, le foot, la religion aussi... Longtemps occultées, ces scènes de fraternisation ont existé. Christian Carrion réussit à les mettre en scène avec un sens de l’authenticité qui fait sourdre une émotion poignante. Parfaitement servi par une distribution internationale judicieuse, le film est un appel à s’interroger sur les racines de ce conflit destructeur, et un manifeste pacifiste, traversé par un esprit européen vibrant." (source: cinehig.clionautes.org)

Le travail historique du réalisateur: "Le réalisateur a appris qu’il y a avait eu des actes de fraternisation en Europe sur le front occidental qui s’étendait d’Ostende à Bâle. Son idée fut de concentrer en un seul lieu la plupart des témoignages qui ont fait état de tels actes. Il a fait le choix de placer son film quelque part dans le Nord (dont il est originaire), une zone de combats entre Arras et Lens. De fait, sur cette partie du front, les armées française et britannique étaient bel et bien côte à côte. De plus, dans les archives, il avait trouvé un témoignage rapportant que le soir de Noël, une cornemuse écossaise (instrument qui le fascine) avait répondu à un harmonica allemand. Christian Carrion rappelle que les actes de fraternisation ont effectivement existé durant le Noël 1914. Leur but était avant tout pour les soldats de « plus durer », c’est à dire de se protéger des obus, des mines. Un témoignage anglais fait mention du fait que les Anglais montraient parfois aux Allemands où ils avaient placé des mines sur le no man’s land, pour les « épargner » (cette anecdote n’est pas reprise dans le film). Les fraternisations de Noël 1914 ont pu exister car, contrairement aux années suivantes, on n’a pas encore instauré « l’exemple ». D’ailleurs, dans le traitement par l’Etat Major de ces actes, il y a la volonté de ne rien ébruiter, d’éloigner, sans réprimer, les régiments contaminés (fin du film avec le départ sur le front de l’Est des Allemands). Des tentatives de fraternisation ont bien eu lieu en Noël 1915 mais les Etats Majors s’y étaient préparées. Des endroits du front réputés trop calmes ont ainsi été volontairement bombardés, pour éviter de voir se reproduire de telles situations. Après 1915, c’est impossible : il y a notamment le tournant de Verdun avec les gaz. La guerre a fini par pourrir les cœurs. La naïveté de 1914 a disparu. Un travail étroit de collaboration a également été mené pour soigner les décors, notamment la reconstitution de l’arrière mais aussi des différentes tranchées (française, écossaise et allemande), qui devaient véritablement marquer l’identité de chaque peuple européen. Pour éviter que les acteurs respectent trop « le costume », le réalisateur, avant de tourner, a demandé qu’ils subissent une semaine de préparation militaire intense, avec les costumes d’époque ! Il fallait cela pour qu’ils n’hésitent pas à souiller l’uniforme, comme les soldats de 1914. Le but était de renforcer la crédibilité du film et d’éviter les défauts du film en costumes. Ce travail de reconstitution apparaît dès la première séquence du film où 3 enfants de chaque pays récite des poèmes nationalistes et xénophobes, devant un tableau noir . Le but était de marquer l’endoctrinement en Europe, via notamment l’école (Christian Carrion rappelle par ailleurs le rôle de Raymond Poincaré en France qui, lorsqu’il était ministre de l’Instruction en 1895, avait instauré les exercices de tir dans les écoles et l’instauration du port du cartable, prélude au barda du militaire). Autre élément d’histoire, le discours prononcé par l’évêque britannique qui vient remotiver les troupes écossaises et les inciter à se transformer en « guerriers de Dieu ». Le texte est tiré d’un discours prononcé par un évêque anglican à Westminster en décembre 1914. Ce personnage est le seul que le réalisateur a souhaité « charger »... Il fait écho à l’actualité (discours de Bush), de la même façon que le sermon du pasteur écossais, lors de la messe confraternelle dans le no man’s land, est aussi en référence à l’actualité brûlante...Deux historiens ont collaboré à ce film, notamment Rémi Cazals*, spécialiste de la Grande Guerre." (source: cinehig.clionautes.org)

*Rémi Cazals est membre du CRID14-18 ce qui peut expliquer la défense du film de cette critique, sur le site du collectif.

La bande annonce: à retrouver sur le très beau site officiel du film


"Le voyage de la Veuve" de Philippe Laïk (2008), mardi 9 décembre 2008, France2, 20h50.

Affiche du téléfilm (source: amazon.fr)

Le synopsis: "Durant la 1ère Guerre Mondiale, rompant avec plus de cinquante ans d’abolition de fait de la peine de mort, le royaume de Belgique demande à la France de lui prêter une guillotine et un bourreau. Une escorte part de Paris pour rejoindre Furnes et rencontre bien des difficultés, transportant la Veuve à travers le champ de bataille.
A l’intérieur de l’escorte, des dissensions se font jour entre pacifistes abolitionnistes et ceux qui veulent mener la mission à son terme coûte que coûte. Ainsi, comble de l’absurdité, pour tuer un homme de plus, d’autres hommes vont tomber…" (source: cinemotions.com)

Interview du réalisateur: "C’est un ami belge qui m’a raconté l’histoire de l’exécution de Ferfaille. J’étais sidéré. Tout ce périple dans un pays rongé par quatre ans de guerre, dans l’unique but de tuer une personne supplémentaire ! J’y ai tout de suite vu la matière d’un film métaphorique sur l’absurdité de la guerre, sur ses ravages, sur la question de la peine de mort et sur l’implacable bêtise de la machine d’Etat. Il y avait cent cinquante mille raisons de ne pas décapiter Ferfaille. De ne pas envoyer une guillotine française en Belgique… Tout le monde en était convaincu. Pourtant, raison d’Etat oblige, chacun a fini par s’y résoudre. Il fallait accepté de jouer son rôle de petit engrenage dans cette triste machinerie. "La discipline fait la principale force des armées”, dit-on… Je dois préciser que France 2 a tout de suite montré beaucoup d’enthousiasme pour ce projet. Cette confiance nous a fait pousser des ailes — nous, c’est-à-dire mon producteur Alain Drahy et moi-même — pour livrer un film original, dans tous les sens du terme..." [...] "Contrairement à ce que l’on peut imaginer, le langage est tout à fait authentique. On disait “putain !” dès Flaubert... Avec mon complice et co-scénariste Jean Samouillan, nous nous sommes replongés dans Céline, Aragon, Blaise Cendrars pour nous imprégner de l’époque. D’un point de vue historique, le film est irréprochable. L’action se situe entre le 21 et le 26 mars 1918 et tout ce que nous montrons en arrière-plan est tiré de cette courte période : la bataille de la Somme, les lignes anglaises transpercées par les lignes allemandes, les premiers tirs de la grosse Bertha, etc..." (source: docandfiction-tv.fr)

Autre interview de Philippe Laïk et dossier sur "Le voyage de la veuve" sur teledoc (format pdf)

Bonus: La chanson de Craonne (1917)

Cette chanson est le symbole du refus de la guerre de ceux qui se considèrent comme des "sacrifiés". Le CRID14-18 y consacre donc un article très complet. Je vous en ai cité quelques paroles en cours, voici la musique et le chant de Marc Ogeret. Pour en savoir plus (paroles et histoire de cette chanson) je vous conseille la lecture de l'article de M. Augris sur son blog pour les première: "La chanson de Craonne".

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Quand Philippe Laïk affirme que du point de vue historique le film est irréprochable, il fait vraisemblablement allusion à d'autres récits qui ne le sont pas, tel que "L'obéissance" de François Sureau qui fourmille de contre-vérités. Mais le transport de la guillotine n'a pas connu les avatars du scénario du film. A partir du moment où Deibler et son escorte quittent le train, tout est inventé, pour atteindre l'objectif que se sont proposé les réalisateurs du film: créer un contexte de parfaite absurdité. Ce contexte n'a pas existé. Je crois qu'il vaut mieux que je vous renvoie sur mon blog où j'ai abondamment traité de cette histoire présentée aujourd'hui de façon complètement rocambolesque...

Monsieur Raingeard a dit…

Merci pour ces précieux éclaircissements, il est vrai que le réalisateur semble avoir pris des libertés avec la vérité historique, comme de nombreux films (et même documentaires) traitant de ce conflit. Je mets le lien vers votre très bon article (un critique constructive):

http://jeanbotquin.blogspot.com/2008/12/le-voyage-de-la-veuve.html

N'hésitez surtout pas à intervenir de nouveau sur ce blog.