mercredi 25 mars 2009

La controverse de Valladolid (1550)


Le téléfilm réalisé en 1991 par Jean-Daniel Verhaeghe dont le scénario est signé du très prolifique Jean-Claude Carrière est une référence en matière de reconstitution historique calibrée pour la télévision, très en vogue en ce moment. Le casting époustouflant n'est pas étranger à la qualité du film:, qu'on ne peut pourtant pas vraiment qualifié de film d'action! lLinénarrable Jean-Pierre Marielle (plus de 50 ans de carrière: vous avez forcément vu un film dans lequel il a joué, dans le cas contraire il faut vous y mettre!) incarne Bartolomé de las Casas face à son adversaire Juan Ginés de Sepúlveda, joué par Jean-Louis Trintignant (sa filmographie n'est pas mal non plus!). Enfin le rôle d'arbitre de la dispute, le légat du pape est interprété par Jean Carmet, monument patrimonial du cinéma français (une filmographie de plus de 100 références sur 4 pages, entre 1941 et 1994, année de sa disparition à 74 ans).

"La controverse de Valladolid" a d'ailleurs été récompensé par quatre (regrettés) 7 d'or en 1993.

Extrait du téléfilm (source: arte.tv)

Pourtant la date de sa diffusion 1992, nous rappelle qu'il s'agit là d'une oeuvre commandée à l'occasion de la célébration du 500ème anniversaire de la découverte du "Nouveau monde" par Christophe Colomb. Jean-Claude Carrière précise dans une présentation du film en juillet 2001 qu’il disposait de très peu de temps et de bien peu de moyens pour ce téléfilm : pas de voyage, peu de scènes d’extérieur. Le projet en revanche était de faire découvrir à un public nombreux un débat historique fondamental, en essayant d’allier respect d’une certaine vérité historique et ce qu’il appelle “vérité dramatique” : reconstituer ce que pouvaient être les mentalités de l’époque, faire revivre la tension de ces débats. (source: www.zerodeconduite.net)

Monumento a Bartolomé de las Casas à Cuba

Il faut donc faire le point sur les libertés prises par les auteurs:
- Un huis clos : la controverse se tenait en grand apparat dans le couvent des Dominicains (Le couvent de frère Gregorio dans le film) proche du Palais Royal, devant un vaste public. Elle se tient dans le film à huis clos avec une assemblée réduite (Les colons se cachent dans une pièce contiguë pour observer les débats).
- La durée des débats : la controverse s’est en réalité étendue sur plusieurs mois, après des années de préparation: Août et septembre 1550, avril et mai 1551. Dans le film, la préparation est occultée (le légat du pape précise cependant avoir longuement réfléchi), et le débat dure 3 journées.
- L’objet du débat : le débat philosophique et théologique de 1550 à 1551 a été provoqué par Charles Quint afin “qu’il se traite et parle de la manière dont devaient se faire les conquêtes dans le Nouveau Monde (…) pour qu’elles se fassent à justice et en sécurité de conscience.” (Paul III : Encyclique Sublimis Deus, 1537).
La teneur du débat se déplace à la question précise des Indiens. Le légat du Pape : “le saint-père m’a envoyé jusqu’à vous avec une mission précise : décider, avec votre aide, si ces indigènes sont des êtres humains achevés et véritables, nos frères dans la descendance d’Adam. Ou si, au contraire, comme on l’a soutenu, ils sont des êtres d’une catégorie distincte, ou même les sujets de l’empire du Diable.” (chapitre 3 du roman, chapitre DVD 1)
L’adaptation concentre les débats sur peu de temps, rend l’affrontement plus rapide et plus direct, puisque l’accent est mis sur les personnages principaux, les autres étant réduits à des figurants, avec de très rares interventions parlées : la théâtralité en est accentuée.
- L’issue du débat : le débat ne fut pas tranché lors de la controverse. Dans le film, il se termine par une décision claire : les Indiens sont des hommes véritables. JCC joue quelque peu sur la vérité historique : le débat se clôt par l’ajout d’un codicille qui précisera que les Africains remplaceront dans les délais les plus brefs les Indiens pour cultiver les terres des Amériques. La fin du téléfilm donne l’impression que la sentence finale du cardinal marque le début véritable de l’esclavage, alors que les transferts d’esclaves par les Espagnols existaient depuis le début du XVIème siècle.
(source: www.zerodeconduite.net)

Pourtant le film s'appuie bel et bien sur les oeuvres de Bartolomé de las Casas qui denonçait dès 1513 les crimes commis par les conquistadores et les mauvais traitements infligés aux populations des Indes, au nom de la religion. De Las Casas, qui a vécu dans le Nouveau Monde plusieurs années et qui y retourna très régulièrment tout au long de sa vie (les voyages durait entre 60 et 90 jours dans des conditions souvent délicates...) s'opposait en effet à la décision du pape d'imposer la religion chrétienne par la contrainte, par le fer et le feu. Il usera alors de ses relations pour porter son message auprès de la reine Isabelle la Catholique qui le nommera « procureur et protecteur universel de tous les Indiens des Indes ». Il mena toute sa longue vie (92 ans!) un combat difficile contre les défenseurs des conquistadors (dont Sépulveda fait partie) à grands coups d'ouvrages polémiques qui dénonçaient mais proposaient également des solutions. Le plus fameux reste la Très Brève Relation de la Destruction des Indes, envoyée au roi Charles Quint en 1542.

La fosse au pieux, illustration d'une des éditions de la Destructions des Indes de Las Casas en 1598.

Pour en savoir plus:
Enfin, une petite vidéo qui présente la dernière adaptation théâtrale de l'oeuvre de Jean-Claude Carrière, mise en scène par Eric Borgella et qui passait il y a quelque temps au théatre Ménilmontant à Paris:


Aucun commentaire: